arrêt du Tribunal fédéral 1C_541/2023 du 8 juillet 2024
Une entreprise de construction dépose un permis de construire, via son architecte et sur mandat d’une communauté héréditaire, ancienne propriétaire des parcelles concernées par le projet. Le permis est accordé.
Suite à un contrôle de la police des constructions, la commune ordonne l’arrêt des travaux, considérant que l’entreprise de construction s’est écartée du permis de construire. Celle-ci modifie alors son projet à plusieurs reprises.
La commune statue sur les deux demandes de modification du permis déposées après coup, les travaux concernés étant toutefois entre-temps terminés. Celle-ci ordonne, notamment, un rétablissement de l’état conforme au droit s’agissant de certains éléments des travaux.
L’entreprise de construction et une communauté héréditaire recourent conjointement contre dite décision de remise en état par-devant la Direction des travaux publics et des transports du Canton (ci-après : « DDT »), qui admet partiellement le recours.
Par la suite, le Tribunal administratif du canton rejette le recours formé par les mêmes parties que celles ayant recouru par-devant le DDT, dans la mesure où il est recevable.
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La question de savoir si l’architecte dispose de la qualité pour recourir contre un ordre de remise en état d’un immeuble qu’il aurait planifié et/ou construit n’a pas encore été tranchée par le Tribunal fédéral.
Il est, en premier lieu, souligné que l’entreprise de construction recourante doit, sous peine d’irrecevabilité, exposer en quoi les conditions de recevabilité (art. 89 al. 1 LTF) sont réunies, en particulier en quoi elle a qualité pour recourir. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de rechercher, dans le dossier ou d’autres documents, si et dans quelle mesure la partie recourante pourrait avoir qualité pour recourir.
En second lieu, le Tribunal fédéral rappelle :
- Avoir nié la qualité pour recourir à un tiers intéressé qui recourait contre un refus de délivrer un permis de construire, alors que le constructeur avait renoncé à saisir la justice ; le tiers ne pouvait obtenir que la construction se fasse contre la volonté du constructeur (arrêt 1C_419/2019) ;
- Avoir retenu qu’une personne qui avait érigé une installation sur un bâtiment, sans qu’une autorisation soit accordée, n’était pas légitimée à attaquer le refus de ladite autorisation. Il lui était reproché de ne pas avoir soutenu qu’elle devrait supporter une partie des frais y relatifs en cas de refus définitif de l’autorisation. Par ailleurs, en admettant sa qualité pour recourir, il aurait aussi fallu reconnaître une légitimation des architectes et des entreprises de construction, ceux-ci ayant également un intérêt indirect à l’octroi d’un permis de construire. Un tel résultat dépasserait toutefois le cadre posé par la loi (ATF 99 Ib 377) ;
- Avoir retenu qu’un architecte n’a en principe qu’un intérêt indirect et économique à la délivrance d’une autorisation de construire. Il n’a, par conséquent, pas qualité pour recourir contre des décisions n’autorisant pas (complètement) un projet de construction, même s’il a requis le permis de construire et que la décision y relative lui a été adressée (arrêts 1C_273/2021 du 28 avril 2022 ; 1C_547/2020 du 15 septembre 2021) ;
En revanche, l’architecte habilité par le droit cantonal à déposer, avec l’accord du propriétaire, une demande de permis de construire est autorisé à former un recours contre la décision de rejet de celui-ci. Dans ce dernier cas, il appartient toutefois à l’architecte qui recourt, de préciser en vertu de quelle disposition légale cantonale il serait habilité à déposer la demande de permis de construire ou à recourir (arrêts 1C_273/2021 du 28 avril 2022 ; 1C_547/2020 du 15 septembre 2021) ;
Quant au promoteur immobilier, il faut que le lien contractuel avec le propriétaire du terrain soit toujours existant au moment du dépôt du recours, à défaut de quoi, faute d’intérêt actuel, il ne peut se prévaloir d’un intérêt digne de protection (cf. arrêt 1C_547/2020).
La jurisprudence précitée (arrêts 1C_273/2021 du 28 avril 2022 ; 1C_547/2020 du 15 septembre 2021) concernant la qualité pour recourir de l’architecte contre un permis de construire qu’il a sollicité peut être appliquée par analogie à la qualité pour recourir d’un architecte contre un ordre de remise en état, en particulier lorsque le propriétaire a renoncé à saisir le juge ; partant, l’architecte ne dispose en principe que d’un intérêt indirect et économique à l’annulation de la décision ordonnant une remise en état d’un immeuble qu’il aurait planifié et/ou construit, dès lors qu’il n’agit dans ce cadre que comme mandataire du propriétaire.
Que l’instance inférieure ait retenu que la recourante puisse se prévaloir d’un intérêt personnel et digne de protection à l’annulation de la décision [de la DDT] et est particulièrement atteinte par celle-ci, en raison de son mandat de déposer une demande de permis de construire, n’est d’aucun secours pour la recourante, le droit cantonal pouvant concevoir la qualité pour recourir de manière plus large (ATF 144 I 43 consid. 2.1; 138 II 162 consid. 2.1.1).
Contrairement aux exigences de motivation applicables par-devant le Tribunal fédéral, l’entreprise de construction s’est contentée d’affirmer avoir été mandatée par l’ancienne propriétaire des parcelles pour déposer une demande de permis de construire. Néanmoins, elle n’allègue ni ne démontre :
- qu’elle serait, en tant qu’architecte et responsable de la planification et de la construction du projet, légitimée à recourir grâce à une disposition légale cantonale particulière ;
- que la décision litigieuse ne lui aurait pas uniquement été adressée en tant que mandataire des propriétaires, mais aussi personnellement en tant que personne soumise à une obligation de remise en état ;
- qu’elle serait propriétaire, copropriétaire ou ancienne propriétaire des parcelles sur lesquelles sont érigés les immeubles litigieux ;
- qu’elle agirait au nom des propriétaires actuels ; ceux-ci ont, au demeurant, renoncé à recourir contre le jugement de l’instance précédent, alors qu’ils avaient participé à l’entier de la procédure cantonale aux côtés de la recourante.
Partant, les conditions de l’art. 89 al. 1 LTF ne sont pas remplies, de sorte que le recours de l’entreprise de construction a été jugé comme irrecevable.