L’interprétation d’une servitude et son exercice en droit de voisinage

Arrêt du TF 5A_824/2023 du 17 avril 2024

A. est propriétaire de la parcelle n° 001 et B et C sont copropriétaires de la parcelle voisine
n° 002.

La parcelle n° 002 est grevée d’une servitude de plantation en faveur de la parcelle n° 001, selon laquelle : « le propriétaire de la parcelle n° 002 autorise le propriétaire de la parcelle n° 001 à planter tous arbustes et arbres jusqu’à la limite parcellaire commune et renonce au droit de respecter les distances minimales de plantations énumérées à l’art. 96 de la Loi d’application du Code civil du canton des Grisons ».

Cette disposition prévoit notamment que lors de la plantation d’arbres et d’arbustes, à l’exception des zones boisées, les distances suivantes doivent être respectées par rapport à la limite de propriété (al. 2):

  1. 6 m pour les arbres à haute tige autres que les arbres fruitiers et les noyers ;
  2. 4 m pour les arbres fruitiers à haute tige, à l’exception des noyers ;
  3. 2 m pour les arbres fruitiers nains, les pruniers et les arbres similaires ;
  4. 0,50 m pour les petits arbres de jardin et les arbustes qui sont taillés à une hauteur de 3 m ; le voisin peut exiger qu’ils soient taillés de cette manière chaque année en automne ; ce droit n’est pas soumis à prescription ;
  5. 0,30 m pour les vignes.

B. et C. forment une requête de preuve à futur concernant les effets des plantations sises sur la limite parcellaire voisine n° 001 de A. et obtiennent un rapport d’expertise qui recense en particulier 6 arbres et de nombreuses plantations, y compris leurs racines, litigieux.

Au gré de ce rapport, B. et C. considèrent qu’ils subissent une atteinte excessive sur leur parcelle et saisissent le Tribunal d’arrondissement Saint-Gall qui condamne A. à élaguer les arbres et plantations litigieux en limite parcellaire dans un délai de 60 jours, puis de renouveler l’élagage chaque année en automne, jusqu’à la hauteur du pignon de la maison ou jusqu’à 2 mètres de la limite parcellaire. Cette décision a été confirmée en deuxième instance.

Sur recours de A. formé en matière de droit civil, le Tribunal fédéral est appelé à trancher la question de savoir si les plantations de A. situées le long de la limite parcellaire commune représentent une atteinte excessive sur la propriété de B. et C au sens de l’art. 684 al. 1 du Code civil qui interdit au propriétaire, dans l’exercice de son droit, de s’abstenir de tout excès au détriment de la propriété du voisin.

Le Tribunal fédéral relève qu’une servitude sur un bien-fonds au sens de l’art. 730 al. 1 du Code civil peut obliger le propriétaire à tolérer certaines immissions excessives sur sa parcelle.

Le Tribunal fédéral rappelle que la portée et le contenu d’une servitude doivent être interprétés selon l’examen en cascade suivant, dans l’ordre :

  • Analyse du texte de l’inscription au Registre foncier ;
  • Examen du motif d’inscription de la servitude ;
  • Exercice effectif de la servitude de bonne foi, pendant une longue période, et sans contestation.

Notre Haute Cour rappelle également que le bénéficiaire de la servitude peut prendre toutes les mesures nécessaires pour la conserver et pour en user (art. 737 al. 1 du Code civil).

Il est toutefois tenu d’exercer son droit de la manière la moins dommageable (art. 737 al. 2 du Code civil). Cette disposition ne limite pas le contenu de la servitude, mais en interdit l’exercice abusif en lien avec l’art. 2 al. 2 du Code civil. Cela signifie que le bénéficiaire de la servitude doit renoncer à un droit qui porte atteinte au grevé, dans la mesure où celui-ci est inutile ou que l’intérêt à l’exercice de ce droit est manifestement disproportionné. En d’autres termes, le bénéficiaire de la servitude est tenu d’exercer son droit avec ménagement.

En application de ce qui précède, le Tribunal fédéral considère que :

  • Une servitude existe en faveur de A. selon laquelle les plantations en limite de sa parcelle et celle de B. et C. ne doivent pas respecter les distances minimales et limitations de hauteur prévues par la législation cantonale ;
  • Le but de la servitude vise à créer une protection visuelle (limitation du vis-à-vis) entre les parcelles ;
  • En l’occurrence, les branches de certaines plantations mesurent pour certaines jusqu’à 5,35 mètres et atteignent en partie le balcon de B. et C., certaines plantations limitent l’ensoleillement de leur parcelle et des racines s’étendent jusqu’à 4,5 mètres sur leur parcelle ;
  • Une croissance illimitée des plantes n’est pas nécessaire pour atteindre le but de la servitude et porte donc atteinte aux intérêts de B. et C., de sorte que A. n’exerce pas sa servitude avec ménagement.

Notre Haute Cour rejette ainsi le recours formé par A. et confirme les décisions rendues par les autorités cantonales, jugeant non-conformes à l’art. 737 al. 2 du Code civil les empiétements des plantations de A. sur la parcelle de B. et C.