Frais et charges communs d’une PPE : rappel des conditions permettant la dérogation à la répartition proportionnelle selon la valeur des parts

TF 5D_24/2020 du 15 août 2023 (Art. 75 CC cum art. 712m al. 2 CC – Contestation d’une décision de l’assemblée générale des propriétaires par étage ; Art. 712h al. 3 CC – Exception à la répartition proportionnelle à la valeur des parts)

Faits

Sur la parcelle n°362 d’une commune tessinoise se trouve le bien-fonds B., composé de 37 immeubles et soumis au régime de la propriété par étage (ci-après : la « Copropriété B »). L’immeuble n°967, comprenant un restaurant et un hôtel, correspond à une part de 330/1000 de la Copropriété B. Il est détenu par A. SA (ci-après : « la Recourante »). Les 36 autres immeubles représentent une part de 670/1000 de la Copropriété B.

La répartition des charges communes est prévue à l’art. 16 du Règlement d’administration et d’utilisation (ci-après : le « RAU ») de la Copropriété B, reprenant intégralement l’art. 712h al. 1 CC, selon lequel les copropriétaires contribuent aux charges communes et aux frais de l’administration commune proportionnellement à la valeur de leurs parts.

En 1992, l’ancien propriétaire de l’immeuble n°967, C., conteste cette clé de répartition au motif que les clients du restaurant – qui ne sont pas également clients de l’hôtel – se voient interdire l’accès aux parties communes, notamment à la piscine et au jardin.

Afin d’éviter une procédure judiciaire, les copropriétaires décident à l’unanimité lors de l’assemblée générale ordinaire du 27 mai 1993, d’accorder à l’immeuble n°967, une réduction de 15,83% sur la contribution annuelle aux charges communes devant être acquittées par A. SA, en dérogation à l’art. 16 du RAU, et ce, pour une durée initiale de 10 ans, dite réduction ayant ensuite été tacitement reconduite.

Lors de l’assemblée générale extraordinaire du 8 mars 2013, qui s’inscrit dans le contexte général d’une volonté de la communauté des copropriétaires d’effectuer des travaux de rénovation conséquents de la piscine, l’accord du 27 mai 1993 est révoqué par une écrasante majorité des copropriétaires (ci-après : la « Résolution »).

Le 14 août 2014, A. SA assigne en justice la communauté des copropriétaires en concluant à l’annulation de la Résolution. Par décision du 10 octobre 2017, le juge de première instance constate la nullité de la Résolution, en raison de la violation de l’art. 712h al. 3 CC.

Dans son arrêt du 12 décembre 2019, la Chambre civile de la Cour d’appel du canton du Tessin admet l’appel du 9 novembre 2017 formé par la communauté des copropriétaires et rejette la requête de A. SA.

A. SA saisit le 3 février 2020 notre Haute Cour d’un recours constitutionnel subsidiaire à l’encontre de l’arrêt entrepris. Celle-ci sera finalement déboutée de ses conclusions.

Droit 

L’art. 712h al. 3 CC est de droit impératif. Son application – au demeurant restrictive – suppose que, d’un point de vue objectif et concret, l’ouvrage ou l’installation ne serve pas ou peu un copropriétaire individuel, sans tenir compte de ses besoins subjectifs ou de sa renonciation volontaire à l’utilisation[1].

Le juge de première instance relève que l’utilité des parties communes doit s’apprécier en distinguant la partie « restaurant », à laquelle une certaine autonomie doit être retenue, de la partie « hôtel ». Il admet que les clients du restaurant sont objectivement et concrètement empêchés d’utiliser certaines installations communes, considérant ainsi que la Résolution viole l’art. 712h al. 3 CC.

La Cour d’appel ne suit pas ce raisonnement. D’abord, elle considère que l’accord initial de 1993 n’a qu’une valeur conciliatoire visant à éviter une procédure judiciaire. Elle ajoute ensuite que l’immeuble forme un tout, la partie « restaurant » ne constituant ni une copropriété à part entière ni une unité économique entièrement indépendante. Elle constate ainsi qu’il incombait à la Recourante de prouver que les équipements communs tels que le jardin et la piscine ne desservaient pas, ou seulement de manière minime, l’ensemble de sa part de copropriété. Faute de preuve, le juge de deuxième instance considère alors que la Résolution est conforme à l’art. 712h al. 3 CC.

1. Appréciation arbitraire des faits et violation sous l’angle de l’arbitraire de l’art. 712h al. 3 CC

Dans un premier grief, la Recourante se plaint d’une appréciation arbitraire des preuves (art. 9 Cst.) et d’une violation de l’art. 712h al. 3 CC sous l’angle de l’arbitraire.

Selon elle, la Cour cantonale aurait dû admettre que l’immeuble est composé de deux parties distinctes, comme le soutient le juge de première instance, et ce, dans la mesure où il existe encore dans le RAU des dispositions faisant mention de la scission hypothétique de l’espace restaurant et de l’hôtel. Elle allègue que ces clauses ont toujours une valeur interprétative importante.

Le Tribunal fédéral rejette ce grief en arguant que :

  • La recourante ne s’oppose nullement au raisonnement de la Cour d’appel selon lequel l’accord de 1993 n’a qu’une valeur conciliatoire ;
  • La scission n’ayant effectivement pas eu lieu, la Cour pouvait, sans tomber dans l’arbitraire, ignorer ces dispositions.

2. Inégalité de traitement (art. 8 Cst.)

Dans un second grief, la Recourante invoque une inégalité de traitement (art. 8 Cst.) à l’égard des 36 autres copropriétaires, au motif que ces derniers devraient également participer aux frais liés au restaurant et à l’hôtel.

Le Tribunal fédéral déclare irrecevable ce grief en soulignant que :

  • La Recourante n’a pas invoqué l’art. 8 Cst. dans la procédure d’appel ;
  • L’art. 8 Cst. ne régit en principe pas les rapports entre particuliers. La Recourante n’explique pas en quoi l’art. 8 Cst. protègerait ici directement les copropriétaires de la PPE ou aurait une portée plus large que l’ensemble des normes régissant le droit de la copropriété.

Excursus

TF 5A_100/2020 du 15 août 2023

Lors d’une assemblée générale ordinaire subséquente du 27 septembre 2013, A. SA propose à nouveau de modifier l’art. 16 du RAU, afin d’obtenir une réduction sur sa participation aux charges communes. En l’absence d’obtention de la majorité qualifiée de 2/3 des copropriétaires, tel que prévu par l’art. 29 du RAU, cette proposition est rejetée. A. SA considère qu’une double majorité, au sens de l’art. 712g al. 3 CC (majorité des copropriétaires et de la valeur des parts), est suffisante pour l’adoption de l’objet.

Dans son arrêt 5A_100/2020 rendu le même jour que l’arrêt 5D_24/2020, le Tribunal fédéral relève qu’une modification du RAU à une majorité plus restrictive que celle de l’art. 712g al. 3 CC est admise, si d’une part, dite majorité protège les copropriétaires minoritaires de se voir imposer aisément une modification du RAU et d’autre part, si elle empêche qu’un copropriétaire exerce une influence suffisante pour bloquer toute modification et in fine l’administration et le développement de la copropriété. Tout en mentionnant qu’une unanimité n’est pas admissible, le Tribunal fédéral, en tranchant une controverse doctrinale, parvient à la conclusion que l’exigence d’une majorité qualifiée de 2/3 des copropriétaires doit en principe être admise.

Le recours de A. SA est donc rejeté.


[1] CR CC II-Amoos Piguet, Art. 712h, N 7.