(Art. 270 al. 1 CO – Contestation du loyer initial ; Immeuble ancien)
Dans son arrêt TF 4A_583/2023, saisi d’un recours de la bailleresse s’inscrivant dans le cadre d’une contestation du loyer initial, le Tribunal fédéral analyse la question du caractère « ancien » d’un immeuble sous l’angle de deux opérations juridiques intervenues en 1998 et en 2014.
Faits
Historique de propriété : En 1986, les frères G. acquièrent le capital-actions de la société immobilière H. SA, alors propriétaire de la parcelle sur laquelle se trouve l’immeuble litigieux. En 1998, la société H. SA, alors en liquidation, vend la parcelle aux frères G. contre l’inscription d’une créance à leur encontre dans les comptes de la société et moyennant reprise de la dette hypothécaire. En 2014, les mêmes frères transfèrent l’ensemble de leur patrimoine immobilier à A. SA (ci-après : la « Recourante ») qu’ils ont précédemment acquise.
Contexte procédural : En septembre 2019, B. et C., locataires d’un appartement et d’un box individuel dans l’immeuble, contestent le loyer initial qu’ils estiment abusif, au sens de l’art. 270 al. 1 CO.
Droit
En vertu de l’art. 270 al. 1 CO, le locataire peut contester le loyer initial qu’il estime abusif au sens des art. 269 et 269a CO. Selon l’art. 269 CO, le loyer est abusif lorsqu’il permet au bailleur d’obtenir un rendement excessif de la chose louée, et, selon l’art. 269a let. a CO, il est présumé non abusif lorsqu’il se situe dans les limites des loyers usuels dans la localité ou dans le quartier.
Lors d’une contestation du loyer initial, il convient de déterminer si le loyer est abusif. Pour cet examen, le critère du calcul du rendement net des fonds propres investis (art. 269 CO) prévaut sur celui de la comparaison des loyers usuels dans la localité ou le quartier (art. 269a let. a CO).
Pour les immeubles anciens, à savoir ceux dont la construction ou la dernière acquisition remonte à trente ans au moins, au moment où débute le bail. Dans ces cas, le bailleur est fondé à se prévaloir du critère de la comparaison des loyers usuels dans la localité ou le quartier. En effet, les pièces comptables pour calculer le rendement net n’existent souvent plus ou font apparaître que les montants ne sont plus en phase avec la réalité économique.
La question, à laquelle le Tribunal fédéral doit répondre, est celle de savoir si les transferts, de 1998 et de 2014, doivent être assimilés à des nouvelles acquisitions de l’immeuble en cause.
La Recourante soutient que l’immeuble est ancien, dans la mesure où sa dernière acquisition remonte à 1986, soit il y a plus de 30 ans (33 ans) depuis la conclusion des baux.
Le Tribunal fédéral rappelle que seules des situations particulières, comme une dévolution héréditaire ou une fusion par absorption, pourraient permettre de ne pas assimiler le transfert de propriété à une nouvelle acquisition, car il n’y a, en principe, pas de modification des bases de calcul.
La Recourante affirme que l’immeuble est détenu par les mêmes personnes depuis 1986. Concernant le transfert de 1998, elle soutient que les frères G. ont repris l’ensemble des actifs et les passifs de la société H. SA, alors en liquidation, de sorte qu’il est assimilable à un cas de succession universelle entre vifs, et qu’il ne s’agit donc pas d’une nouvelle acquisition. Pour ce qui est de la transaction de 2014, la Recourante relève que cela concerne un transfert de propriété franc d’impôt de sorte qu’il demeure sans conséquence.
En l’espèce, la Haute Cour retient que le transfert de 1998 impliquait l’inscription d’une créance dans les comptes de la société venderesse H. SA, de sorte qu’elle n’a pas été effectuée à titre gratuit. Il s’agit donc bien d’un transfert volontaire entre deux personnes juridiques distinctes.
Concernant la transaction de 2014, les juges de Mon-Repos relèvent également qu’il y a bien un transfert volontaire entre sujets de droits distincts, sans universalité aucune. En particulier, ils refusent de suivre l’argumentaire de la Recourante, qui soutient qu’il ne s’agit pas d’une vente « au sens stricte » au motif que le transfert de propriété est franc d’impôt.
Au surplus, le Tribunal fédéral affirme que, dans la mesure où ces transferts ont donné lieu à des actes de ventes immobilières et à l’inscription du transfert de propriété au registre du foncier, l’immeuble a bel et bien été vendu à deux reprises.
En définitive, c’est à tort que la Recourante tente d’appliquer le principe de la transparence entre elle-même, en tant que société anonyme, et ses actionnaires. Cela étant, elle ne saurait invoquer l’indépendance juridique dont elle bénéficie lorsque ceci sert ses intérêts ou ceux de ses ayants droits économiques, et prétendre ne faire qu’un avec ceux-ci lorsqu’un autre avantage est en jeu.
Partant, le Tribunal fédéral déboute la Recourante et conclut que les transferts de 1998 et de 2014 sont assimilables à des nouvelles acquisitions, ce qui exclut ainsi sa qualification d’« immeuble ancien ». Le critère du calcul du rendement net au sens de l’art. 269 CO reste donc applicable pour déterminer si le loyer est abusif.