Les grands acteurs de l’immobilier, qu’ils soient futurs propriétaires d’immeuble ou maîtres d’ouvrage, sont souvent confrontés à un véritable parcours du combattant lorsqu’il s’agit de faire valoir leurs droits en cas de défauts de construction.
Dans une volonté d’améliorer leur position, le Conseil fédéral a soumis au législateur, en octobre 2022, un grand projet de réforme du droit de la construction.
Pour parvenir à cet objectif, de nombreux domaines du droit devront être modifiés, avec en particulier une refonte d’une partie du code des obligations, notamment des dispositions relevant du contrat d’entreprise, du contrat de vente d’immeuble ou des sûretés (hypothèques légales). Avec ces modifications, le Conseil fédéral espère qu’un vent de changement soufflera bientôt sur ce domaine complexe, apportant des réponses concrètes et nécessaires pour mieux protéger les acheteurs d’une part, et clarifier, d’autre part, les responsabilités des acteurs clés du secteur.
Ce projet, toujours en délibération, s’articule autour de trois axes principaux.
1. Une prolongation de l’avis des défauts
Que l’on soit en présence d’une construction existante ou que l’on projette une acquisition sur plan, il arrive un moment crucial au cours duquel le nouvel acquéreur se devra, pour pouvoir exercer ses droits de garantie, vérifier la chose et aviser le vendeur des défauts éventuellement découverts. Il en va de même pour le maître d’ouvrage lorsqu’il confie la construction à un entrepreneur.
Or, l’avis des défauts est, en pratique, une phase particulièrement critique de toute procédure en garantie des défauts. On rappelle en effet que sans avis des défauts, l’ouvrage ou la chose est tenu pour accepté et le maître ou l’acheteur perd tous droits à la garantie.
En cas de problème majeur, un défaut d’annonce peut avoir des conséquences catastrophiques, le maître d’ouvrage se retrouvant à devoir payer non seulement l’intégralité du prix convenu, mais également de devoir supporter lui-même les coûts de l’élimination des défauts.
Ce système pouvant mener à des situations inéquitables, c’est tant dans son principe, que dans son application concrète qu’il est remis à l’étude par le Conseil fédéral.
En effet, dans son message, ce dernier souligne qu’« aujourd’hui, l’avis des défauts est source de problèmes majeurs en pratique. Pour les particuliers sans expérience préalable, le droit positif est presque impossible à maîtriser et par conséquent insatisfaisant ».
Sans pour autant verser dans une Laienfreundlichkeit, principe ayant notamment guidé la dernière réforme du Code de procédure civile (CPC) qui entrera en vigueur au 1er janvier 2025, on notera tout de même une volonté globale du Conseil fédéral – et du législateur – de rendre le droit suisse désormais plus praticable, respectivement plus accessible.
Le Conseil fédéral propose que, dans le contrat d’entreprise comme dans le contrat de vente d’immeubles, le délai d’avis des défauts des biens immobiliers soit désormais de 60 jours, que les défauts soient manifestes ou cachés (cas échéant le délai commençant à courir à compter de leur découverte).
Jusqu’alors, les défauts apparents devaient être signalés aussitôt la vérification terminée et ceux qui ne l’étaient pas lors de la vérification (défauts cachés), aussitôt après leur découverte. Ces délais, extrêmement courts (7 jours selon la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral, si ce n’est plus court lorsque les « défauts sont tels qu’ils pourraient occasionner un dommage plus important en cas d’attente ») cause bien des problèmes, tant aux néophytes qu’au professionnels de la branche. Selon le Message, « les problèmes résultent principalement de la conjonction du délai d’avis très bref et de la péremption de tous les droits de garantie si l’avis des défauts est omis, tardif ou insuffisamment motivé ».
D’ailleurs, très concrètement, un défaut relève parfois pour l’œil inexpérimenté d’une véritable notion abstraite. Lorsque l’expérience n’est pas au rendez-vous, il est difficile, si ce n’est impossible, de reconnaître l’étendue et la portée juridique de la première manifestation des défauts.
C’est encore bien pire lorsque les défauts apparaissent petit à petit, comme c’est par exemple le cas pour certains problèmes d’étanchéité (argument notamment rapporté par le Conseil national plaidant en faveur d’un délai d’annonce de 5 ans). Il devient alors difficile de déterminer précisément le moment où ils deviennent identifiables.
Dans ce contexte, la brièveté d’annonce que nous connaissions jusqu’ici n’apparaissait pas proportionnée.
Il n’était pas question de totalement léser les entrepreneurs qui peuvent, dans certaines situations, également être en position « faible », en particulier lorsqu’il s’agit de petits artisans face à de grands propriétaires fonciers. Cette problématique a été soulevée lors des délibérations et il a été admis qu’une prolongation de délai à 60 jours n’était pas de nature à prétériter ces derniers. En effet, cette modification s’inscrit également dans une logique où une grande partie des délais d’avis sont – en réalité – de deux ans en bonne application des normes SIA 118, fréquemment utilisée par ces derniers.
Il n’y a donc pas réellement de risque de défavoriser les entrepreneurs qui sont d’ores et déjà régulièrement soumis à des garanties plus longues.
C’est d’ailleurs pour cela que cette modification du délai d’avis des défauts se voudra dite semi-impérative, pour permettre aux parties d’y déroger, uniquement en faveur d’un délai plus long.
2. Le droit impératif à la réfection
Par ailleurs, le Conseil fédéral souhaite limiter fortement la pratique actuelle des entreprises, défavorable aux acquéreurs immobiliers, consistant à combiner une exclusion totale de responsabilité et la cession des droits de garantie.
Comme déjà mentionné, le droit immobilier, particulièrement difficile à appréhender, peut renfermer des mécanismes complexes privant in fine l’acquéreur, nouvellement propriétaire, de certains de ses droits.
En effet, si les vendeurs ont exclu toute responsabilité, tout en cédant à l’acheteur leurs droits pour agir contre les entrepreneurs en cas de défauts, et que ces acheteurs ne parviennent pas à notifier correctement ces défauts, ils risquent de se retrouver dans une situation délicate.
Selon le Conseil fédéral, « très souvent, le maître d’ouvrage ne peut pas déterminer quel sous-traitant répond du défaut, faute de connaissances spécifiques. Il a reçu une liste des sous-traitants de la part de l’entrepreneur général en même temps que celui-ci lui a cédé ses droits de garantie, et il est ensuite censé déterminer quel sous-traitant est responsable du défaut. Pour les défauts complexes en particulier, comme les infiltrations, les maîtres d’ouvrage sans connaissances techniques ne sont souvent pas en mesure de déterminer à quel sous-traitant ils doivent s’adresser sans faire réaliser au préalable une expertise à leurs frais ».
Pour cette raison, le Conseil fédéral prévoit une interdiction pour les acquéreurs et maîtres d’ouvrage de renoncer à leur droit à la réparation en proposant de rendre, à certaines conditions, le droit à la réparation impératif.
Toutefois, cette nouvelle limitation ne serait valable que si la construction est prévue pour l’usage personnel du maître d’ouvrage ou pour celui de sa famille.
Il est temps, pour le Conseil fédéral, de limiter une pratique douteuse consistant à « inscrire dans les contrats des clauses juridiquement douteuses et opaques consistant à combiner exclusion de la responsabilité et cession des droits de garantie de l’entrepreneur à l’égard de ses sous-traitants ».
Le droit immobilier étant transversal, cette modification devra s’étendre tant aux contrats de vente d’immeuble qu’aux contrats d’entreprise aux fins d’éviter toute possibilité de contourner les dispositions relatives au contrat de vente par le biais de la conclusion d’un contrat d’entreprise.
3. Vers une alternative moins contraignante que l’hypothèque légale
Actuellement, l’inscription d’une hypothèque légale au registre foncier est la hantise des maîtres d’ouvrage qui peuvent voir leur bien grevé d’une annotation particulièrement contraignante. Bien que le délai d’inscription des hypothèques légales soit relativement court (4 mois dès la fin des travaux), elle n’en reste pas moins une arme redoutable à disposition des entrepreneurs impayés. Le droit à la réalisation de l’ouvrage grevé étant particulièrement incisif, il est bien naturel pour tout maître d’ouvrage d’y préférer toute alternative.
Il existe bien l’option des sûretés, toutefois, selon la jurisprudence, « ces sûretés doivent couvrir les intérêts moratoires pour une durée illimitée, si bien que les garanties réelles sont en général insuffisantes et qu’il est difficile pour le propriétaire de l’immeuble d’obtenir des garanties bancaires équivalentes. Dans la pratique, les maîtres d’ouvrage ne peuvent donc guère fournir de sûretés pour éviter l’inscription d’une hypothèque légale ou en remplacement de celle-ci si l’inscription a déjà eu lieu ».
C’est pourquoi, le Conseil fédéral prévoit au terme de son projet, que les sûretés nécessaires à prévenir l’inscription d’une hypothèque légale ne devront plus que couvrir les intérêts moratoires sur une durée maximale de 10 ans. Il sera donc plus facile pour le maître d’ouvrage d’estimer et de fournir les sûretés nécessaires à se prémunir contre toute hypothèque légale.
4. Etat actuel
Aux dernières nouvelles, soit au 12 septembre 2024 dernier, le Conseil national et le Conseil des Etats se sont mis d’accord sur l’un des points de discorde rémanent, portant sur un élément central de la réforme : la durée du délai d’avis des défauts. Alors que le Conseil national préconisait un délai d’annonce équivalent au délai de péremption du droit, il s’est finalement rallié au Conseil des Etats en acceptant la solution moins radicale de 60 jours.